Impérialisme et universalisme

Universalisme et impérialisme sont les deux versants d’une même montagne intellectuelle.

La différence ? La personne qui parle. Celui qui veut promouvoir l’idée sous un jour positif dira universalisme. Celui qui veut la critiquer sous un angle polémique dira impérialisme. Dans les deux cas, ils parlent en réalité de la même chose.

L’idée centrale ? Qu’il existe un système qui pourra fonctionner en tout temps, en tous lieux et pour tout le monde : un système universel.

La nature de ce système peut varier : il peut être politique, culturel ou religieux. Mais dans tous les cas, il va se présenter comme étant potentiellement utilisable par toute l’humanité.

Ses thuriféraires diront : il est universel, quelle merveille ! Ses détracteurs pointeront que, comme par hasard, ce système universel est en réalité l’expression d’un groupe, qui cherche à l’imposer aux autres, fût-ce par la force.

Le terme impérialisme est aussi vieux que l’histoire. Déjà Hammurabi voulait unifier les quatre coins du monde sous le même ciel. Lequel ? Le sien, évidemment. Lorsqu’il est politique, l’impérialisme joue toujours la même partition. Une nation donnée se sent investie d’une mission : unifier le monde entier autour d’elle. Pourquoi ? Parce que sa culture est la meilleure, et dès lors, pourquoi les autres n’en profiteraient-ils pas ?

Problème : le prix à payer est toujours le renoncement, pour les peuples qui entrent volontairement (ou le plus souvent involontairement) dans le système, à leur propre expression culturelle, politique et/où religieuse.

L’Europe de ces cinq cent dernières années en offre un exemple clair. Régulièrement, une puissance monte, décidée à refaire l’Empire Romain, et cherche à s’emparer du reste de l’Europe, mais à condition que tout le monde se mette à leur diapason.

Mais il n’y a pas d’impérialisme que politique. L’histoire a vu s’affronter deux exemples fameux d’impérialismes religieux. D’un côté le christianisme, qui a d’emblée vocation à l’universel. Saint Paul le dit sans ambages : “il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ.” (Galates 3, 28) Mais si on n’a pas envie de rejoindre le club ? Pas de problème : l’enfer est au bout du chemin. Le choix existe, mais le choix paraît un rien biaisé. L’église romaine se dit catholique. En grec : universelle.

Et voilà qu’au septième siècle un autre impérialisme religieux apparaît sur la scène : l’Islam. Autre système qui se rêve universel et dont l’objectif est simple : la conversion de l’ensemble du monde à sa règle. Lorsque tous les peuples seront soumis à l’Islam et que tous les hommes seront soumis à Dieu, alors régnera la paix universelle. C’est encore plus clair si on connaît un peu l’arabe : islam signifie à la fois soumis et en paix.

Problème : par définition, il ne peut y avoir qu’un seul universalisme. Si une idée est universelle, elle occupe tout l’espace. Elle ne souffre aucune concurrence. Comme c’est elle qui a raison, elle ne peut que déduire que les autres, qui disent différemment, ont nécessairement tort.

D’où mille trois cents ans d’affrontements, de flux et de reflux et de batailles physiques, culturelles et un sens, spirituelles, entre deux empires qui n’imaginent rien d’autre que de gouverner la totalité du monde.

A voir à quel point cette idée est répandue et à quel point elle a été essayée, encore et encore, alors qu’elle a tant de fois échoué, on peut se demander : mais pourquoi cet attrait pour l’universel impérial ?

Risquons une hypothèse : peut-être parce que l’humanité sent qu’il existe une tension entre d’un côté nos particularismes et de l’autre le fait éclatant que nous participons tous de la même humanité. Comment concilier les deux ? Jusqu’à présent, l’équation a toujours été résolue de la même façon : construire la dimension une en réduisant les dimensions multiples.

Quitte à dire l’inverse. Voir par exemple l’Union Européenne qui nous promettait l’unité dans la diversité et qui nous a donné un système sous la domination de l’Allemagne, dont le bras bruxellois, non élu, décidé de l’orthodoxie des vingt sept autres.

Voir la mondialisation mise en place depuis une trentaine d’années, qui avait promis un système multilatéral, et qui est très vite devenue étrangement majoritairement américain, en imposant sa culture, ses valeurs, ses enjeux stratégiques, sa monnaie et même, depuis la crise de 2008, son droit.

D’où les dissensions ici ou là de certains pays qui considèrent qu’on peut trouver l’oncle Sam sympathique tout en n’ayant pas à lui expliquer ce qu’on fait a chaque fois qu’on fait une transaction en dollars avec un pays tiers.

Ou qu’on peut aimer le cinéma, mais considérer qu’il y a un moment où Hollywood devient une machine de guerre culturelle qui détruit l’industrie locale du cinéma et qu’il faut peut-être essayer de la protéger.

Ou encore que les valeurs véhiculées par les USA sont pour certaines incompatibles avec le projet de société que l’on a pour son propre pays et qu’adhérer à telle ou telle institution internationale ne vaut pas blanc-seing pour toute innovation culturelle de la côte ouest américaine.

Y aurait-il un moyen de résoudre cette équation ? Y aurait-il une façon de composer unité réellement respectueuse de la multiplicité ? Pourrait-on imaginer une mondialisation où chacun apporte son génie propre et bénéficie du collectif sans avoir à l’abandonner ?

Sans aucun doute, mais c’est déjà un autre sujet. A suivre donc.

Image : Maréchal Ney et ses aides-de-camp conduisant la charge de cavalerie à Waterloo, par Louis Dumoulin, Public domain, via Wikimedia Commons.