Journal d’un civil (165) La brit

Mardi 19 mars

Ce matin, je suis réveillé dès quatre heures du matin. Pas moyen de me rendormir. Autant se lever et aller travailler. Je profite du calme qu’il y a dans la maison pour mettre mon blog à jour. J’avais presque un mois de retard, et je dois faire un certain nombre de copier/coller pour rattraper le fil.

Je suis à jour de mes textes, mais pas toujours de leur publication. La fin de semaine en particulier est un étrange embouteillage. Pas le temps de corriger, pas le temps de publier. Et la semaine reprend le samedi soir, et j’ai souvent deux jours de retard, et une flemme monumentale de la rattraper.

Ce matin, nous emmenons ma fille au maon. Elle est impatiente d’y aller. Elle m’a amené les chaussures, elle a été chercher son sac et elle a mis son manteau. Elle pointe la porte du doigt avec détermination, alors, vers huit heures trente, on part avec la poussette. Le ciel est menaçant. Il risque de pleuvoir d’un instant à l’autre. Je croyais que le printemps avait commencé, mais ça semble remis à plus tard.

Arrivé au maon, ma fille hésite. Elle chouine un peu. Elle n’a pas envie de descendre de la poussette. La ganenette nous dit aucun problème, faites entrer la poussette. Elle a une solution pour tout, c’est remarquable. Au point que j’ai envie de lui demander si elle ne donne pas des cours. Quarante ans d’expérience, elle doit avoir des techniques formidables pour s’occuper d’enfants en bas âge.

On sort du maon et à l’instant où on pose le pied sur le trottoir, il se met à pleuvoir. Un de ces petits crachins dont on dirait en Bretagne qu’il est vivifiant. On rentre à la maison et on attend quelques minutes. J’ai le temps d’envoyer un email, et c’est l’heure de redescendre. Une copine passe nous prendre en voiture.

Ce matin, nous allons à une brit*, dans un centre communautaire qui se trouve à une vingtaine de minutes à pied. Et, chose rare, c’est une famille française qui célèbre, la seule famille française avec des enfants de l’âge des nôtres que nous connaissons dans la région.

On arrive à l’heure, ce qui veut dire qu’on est en avance. C’est une très belle salle, avec une multitude de tables dressées, un buffet au milieu (pour le salé) et un buffet sur le côté (pour le sucré). A côté de l’entrée, un synthétiseur et quelques hauts parleurs. Et un peu plus loin, la chaise d’Eliyahou Hanavi et une table avec les instruments.

On croise des gens qu’on connaît, on discute un peu, on passe d’une langue à l’autre sans vraiment s’en rendre compte. La plupart des gens parlent français, hébreu et anglais, et, d’une manière ou d’une autre on finit toujours par se comprendre.

A dix heures, l’assemblée commence à bruire. Le bébé arrive par la porte d’entrée. Il est habillé de blanc. Sa maman le passe dans les bras d’une première personne, qui le passe dans les bras d’une seconde, et ainsi de suite, jusqu’à arriver à la chaise. Le mohel** fait réciter les prières au père, et puis on demande : où est le sandak*** ?

Le bruit se répand dans la foule : où est le sandak ? où est le sandak ?

Le sandak arrive, il s’assied sur la chaise. On lui confie le bébé.

On est assez proche de l’action, mais on ne voit rien. On se contente de chanter et de répondre amen aux moments appropriés. Tout est en hébreu, mais, pour une fois, je comprends tout ce qui est dit. D’une part parce que je connais plus ou moins la liturgie, et d’autre part parce que le mohel parle bien, avec un accent que je comprends.

L’émotion est très forte. Je ne sais pas pourquoi ça me retourne toujours autant. J’ai un flashback de la brit de mon fils. Le fameux moment où le mohel explique que, normalement, c’est le père qui doit procéder, mais qu’il peut déléguer. Notre mohel avait fait durer et puis j’avais dit que, oui, je lui déléguais la tâche. L’assistance s’esclaffe. Moi : ne faites pas rire le mohel, s’il vous plait !

La brit effectuée, les youyous pleuvent et la musique commence. Les gens se dispersent et passent au buffet. Il est à peine dix heures, je n’ai pas encore très faim, et je ne peux résister aux légumes et aux sushis. Mais la star, ce sont les croissants au bœuf. Du bœuf style bœuf bourguignon, effiloché, fourré dans un croissant. Un délice ! J’en reprends même un deuxième.

On déjeune, on discute et l’ambiance monte. Les gens dansent, les gens chantent. Les parents virevoltent d’une table à l’autre. Tout le monde est heureux.

Parenthèse de bonheur qui parait durer des jours. On reste pourtant moins de deux heures. Le reste de la journée continue, et le travail ne peut pas trop attendre.

Je lis en particulier dans la presse une nouvelle particulièrement mauvaise, mais je préfère la mettre de côté pour aujourd’hui. Et continuer à penser à ce rite auquel nous avons participé ce matin, un rite vieux de plusieurs milliers d’années, qui a continué en dépit de tout, et qui est le fondement de notre peuple.

A chaque nouvelle brit, on ne peut dire qu’une chose : am Israel hai ! Mamash.

– Fin du 165ème jour, 19 mars 2024, 9 Adar II 5784.

  • brit : cérémonie de la circoncision
    ** mohel : la personne qui procède
    *** sandhak : la personne sur les genoux de qui se passe la procédure.