26 oct. 2023
Hier soir, le premier ministre a fait un discours dans lequel il a expliqué que l’opération terrestre allait bientôt commencer. Cela va faire trois semaines que la guerre a commencé, et les préparatifs ont pris du temps. Pendant plusieurs jours il y a eu une rumeur qui disait que l’opération ne commencerait que lorsque les Américains auraient déployé un certain nombre d’équipements à travers la région. Cela semble se confirmer.
On a appris en fin de journée que les gens dans les villages qui n’avaient pas été évacués et qui sont toujours proches de Gaza, avaient reçu comme consigne de rester à l’intérieur.
Avant d’aller se coucher, on prépare le mamad. Je passe l’aspirateur pour enlever toutes les miettes et la poussière qui se sont accumulés depuis quelques jours. Dans le désert, c’est une activité permanente. On vérifie qu’on a les équipements nécessaires et on refait les sacs à dos qu’on prendrait en cas d’évacuation. Je range en particulier tous les papiers, les documents officiels et tout ce qui est difficile à obtenir. Autant avoir cela à portée de main en cas d’évacuation.
La nuit se passe sans alerte : plus de vingt-quatre heures sans sirène. Le matin, j’arrive même à dormir jusqu’à sept heures et demie. Ma femme s’est levée pour s’occuper de mon fils : ces quelques heures de sommeil supplémentaires sont les bienvenues.
Je regarde les nouvelles : il y a eu une opération terrestre à Gaza pendant la nuit, mais les soldats sont revenus aussitôt. Apparemment, on est encore dans la phase des préparatifs.
Je prends un petit déjeuner, je me prépare. Je dis la prière dans mon bureau. Mon fils entre sans faire trop de bruit, vient prendre les tzitzit de mon châle de prière au moment où je ne peux pas parler, les embrasse et repart sans rien dire.
A dix heures, la journée commence vraiment. Aujourd’hui, nous faisons quelques allers retours en voiture pour emmener des cartons et des meubles dans le nouvel appartement. J’espère juste qu’il n’y aura pas d’alerte au moment où nous transportons le canapé : ça serait du meilleur effet de le laisser en plan, à moitié sorti de la voiture, pendant qu’on court se mettre aux abris.
Un couple d’amis vient nous prêter main forte. Ils sont dans le processus d’alyah, et, coïncidence, ils ont trouvé un appartement dans la même rue que nous. Eux aussi sont au milieu des cartons.
Ce matin, j’embarque trois grosses boîtes pleines d’appareils électro-ménagers, des sacs de vêtements et trois chargements de livres.
On fait un premier aller-retour : c’est réglé en quarante-cinq minutes. Mais la chaleur commence à se faire sentir. Aujourd’hui est censé être le jour le plus chaud de la semaine : ça va monter jusqu’à 37 après midi.
On fait une pause dans leur appartement pour boire de l’eau fraîche, et on repart pour le second chargement. Il est onze heures trente et il y a un embouteillage pas possible au pied de mon immeuble.
Nous sommes à côté d’un supermarché et d’une station-service, et tout le monde semble avoir décidé de venir en même temps pour faire les courses et le plein d’essence. L’armée se prépare ; les civils également.
Pour nous également l’heure des courses arrive. Les stocks commencent à baisser et shabbat arrive. Le fait d’être à cheval sur deux appartements complique un peu la logistique. On est pris entre le désir de finir ce qu’on a dans les placards pour ne pas avoir à le trimballer, et la nécessité d’avoir des provisions d’avance, comme c’est recommandé par les directives du homefront command.
J’essaye d’organiser le nouvel appartement afin que nous puissions y habiter immédiatement si c’est nécessaire. Raison pour laquelle nous prenons, dans le deuxième voyage, de quoi s’asseoir. On embarque un petit canapé en plastique et le fauteuil qui va avec. A la base, c’est des meubles de jardin qu’on avait mis sur la terrasse, mais ils sont tellement confortables et pratiques qu’ils sont vite devenus des meubles d’intérieur. Qui sait quand on pourra emporter le « vrai » canapé dans le nouvel appartement.
J’ai également mis tout le matériel de camping dans le nouvel appartement. Il ne manque plus que quelques instruments de cuisine et on aura un deuxième lieu. La pire situation pour nous serait une coupure de courant généralisée. On habite actuellement à l’équivalent du dix-neuvième étage : sans ascenseur, tout serait vraiment très compliqué.
C’est une vraie possibilité : les ascenseurs sont une source permanente de soucis. On a appris pourquoi il y a peu. L’immeuble était conçu pour être plus bas, mais les appartements se vendaient comme des petits pains. Alors le promoteur a rajouté des étages, mais il a laissé le nombre d’ascenseurs initial, sans rajouter le quatrième que les normes demandaient pourtant.
Ce matin, coïncidence, l’un des ascenseurs est en panne (celui qui devient l’ascenseur de shabbat en temps normal). Il y a un panneau dessus qui dit que le service machin est passé, qu’il est condamné jusqu’à nouvel ordre et qu’il est interdit de remettre le courant avant qu’il n’ait été vérifié. Charmant.
Le reste de l’après-midi passe comme un jour de semaine presque normal. Ma fille ne veut pas faire la sieste. Après deux heures à faire la java dans son lit, elle vient avec nous dans le salon. Aujourd’hui, elle a découvert qu’elle pouvait dire un nouveau mot : « Abba », papa en hébreu. Elle le répète toutes les deux minutes pour m’appeler. Je dis : « oui ? » et elle éclate de rire.
Dîner, coucher, et je ressors pour aller à la supérette acheter de la bière. Ce soir, le week-end commence. On va décompresser en regardant un film (probablement Mission Impossible, opus 1) et en prenant un verre.
A la supérette, qui est également la station-service, il y a foule. Je n’ai jamais vu autant de monde à cette heure (dix-neuf heures trente). Il y a des soldats dans tous les coins et des clients de base, qui viennent tous, comme moi, acheter des choses très importantes, du style une barre de chocolat et des chips.
Tout le monde discute presque comme si de rien n’était.
On nous a dit que la date pour la prochaine phase de la guerre avait été arrêtée : nous, civils lambda, ignorons quand ce sera.
– fin du 20ème jour, 26 octobre 2023.