Jeudi 21 mars.
Cette année, Pourim tombe un dimanche. Traditionnellement, le jour d’avant est consacré à un jeûne, mais comme il tomberait un shabbat, il est avancé au jeudi précédent : aujourd’hui.
Le jeûne dure de l’aube au crépuscule, et, comme il faut bien donner une heure précise, à Be’er Sheva il commence à 4h31 du matin pour se terminer à 18h15.
C’est censé être une jeûne un peu plus « facile » que d’autres étant donné qu’il ne dure pas 25 heures. On peut ainsi déjeuner avant, et, pour ceux qui en ont besoin, prendre un café.
En ce qui me concerne c’est le seul inconfort que je ressens. Pas de caféine le matin et j’ai un léger mal à la tête pendant le reste de la journée, comme un bourdonnement en arrière-plan de tout ce que je fais.
Mais 4h30, même pour un lève-tôt comme moi, c’est vraiment trop tôt, ce qui fait que le jeûne s’allonge pour durer pratiquement vingt-cinq heures.
Le jeûne en question est un écho à l’histoire d’Esther. Avant de mettre son plan en œuvre, elle demande aux Juifs de jeûner trois jours pour se rapprocher de D.ieu. Ce qu’ils firent. En souvenir de cela, on jeûne, mais heureusement la coutume a été ramenée à une durée un peu plus gérable que trois jours entiers.
Cette année, toute la fête de Pourim a un goût particulier. C’est l’une des fêtes les plus joyeuses du calendrier (l’autre étant Simhat Torah, qui cette année a été tout sauf joyeuse), mais personne n’a vraiment le cœur a être joyeux comme d’habitude.
Les enfants ne se rendent pas compte de ce qu’il se passe, et l’absence de missiles sur la ville depuis des semaines les a aidés à revenir à une sorte de vie normale. Aussi normale que possible lorsqu’il y a autant de pères qui doivent être en réserve ou au front, et lorsque les nouvelles finissent toujours par toucher toujours une famille que l’on connaît de près ou de loin.
Les écoles organisent les activités de Pourim comme d’habitude. Au gan de mon fils, cela fait déjà quinze jours qu’on a du Pourim matin, midi et soir. Et à la maison, on met les chansons qui correspondent et qu’il a appris à l’école, pour l’aider à les mémoriser et à progresser en hébreu.
Les parents progressent de concert : j’ai la chanson du clown bloquée dans la tête, et quand ce n’est pas la chanson du clown, c’est celle qui commence par « michémichémichémiché ». J’ai l’impression d’être dans l’épisode de Kaamelott où le Roi Arthur est bloqué sur la chanson A la volette, et que Merlin lui dit : « l’important, c’est que ça sorte ». Alors pour que ça sorte, de temps en temps je chante « michémichémichémiché » et tout le monde reprend par réflexe !
Mais le problème de se réjouir en temps de guerre flotte dans le monde des adultes comme une brume légère qui enveloppe tout.
Beaucoup d’articles tournent autour de cette question. Comment articuler la fête et la réalité ? D’autant que les deux se répondent d’une façon tout à fait frappante dans les thèmes dont il est question. J’ai lu une initiative intéressante. Une prière qui serait l’équivalent du kol nidre, cette cérémonie qui précède Yom Kippour et dans laquelle on demande au tribunal d’en-haut de nous permettre de prier, en dépit de nos fautes.
Le texte demande, de la même façon, la permission de se réjouir, ce qui est un commandement important lié à Pourim, en dépit du fait que nous sommes en guerre et que cent trente de nos compatriotes sont encore retenus dans les tunnels, par le hamas.
« Avec l’accord du Tout-Puissant et avec l’accord de la congrégation, nous donnons la permission de nous réjouir ; nous donnons la permission à Pourim d’être présent, de franchir les portes, de répondre au Bien-Aimé qui frappe. Et tous ceux qui ont été chassés et terrorisés, blessés ou enlevés, victimes civiles ou militaires, depuis le dernier Pourim jusqu’à celui-ci, se tiennent devant moi, et je leur demande de me donner congé, avec bonté, avec compassion, avec engagement. » (Rabbanit Esti Rosenberg).
Aujourd’hui a eu lieu un autre événement, en lien avec les familles des otages. L’appel tourne depuis quelques jours sur les réseaux sociaux : à dix-sept heures trente, il est demandé de dire le Shéma, la prière centrale du judaïsme. Six mots, prononcés par des millions de personne simultanément, pour prier pour la libération des otages et pour le succès des soldats.
Voici par exemple l’un des textes qui relaye cet appel :
« Le cri “Shema Israël” est une devise pour le peuple juif – un signe d’identification, un appel à l’émotion, et plus encore : c’est une déclaration de connexion, de principes et d’identité. Le “Shema Israël” nous accompagne depuis le début de notre histoire. Ces mots étaient inscrits sur le drapeau du camp israélite lorsqu’il quittait l’Égypte. Nos ancêtres ont prononcé ces mots pour la dernière fois sur leur lit de mort. Les saints chantaient le “Shema Israël” lorsqu’ils allaient au bûcher, et un enfant effrayé marchant seul la nuit disait “Shema Israël” pour se fortifier par une déclaration de confiance et d’assurance. Toute personne émue et impressionnée par un événement important dira également “Shema Israël”. Quiconque prononce ces mots se relie au tissu millénaire de ses ancêtres et à l’espace des frères et sœurs dispersés dans le monde entier qui disent également “Shema Yisrael”. Nous appelons l’ensemble du peuple juif à recommencer à dire “Shema Israël”. Que chaque juif prenne sur lui de prononcer régulièrement ces mots pour exprimer et renforcer son lien avec le peuple et pour découvrir et illuminer son identité intérieure ! » Rabbi Adin Even-Israel Steinsatlz z’l (publié par son fils).
Il y a eu une cérémonie au Kotel, retransmise en direct sur Internet. Des milliers de personnes rassemblées, et la prière qui monte, rythmée par les shofars. Un moment très fort, un de ces moments d’unité dont on a tant besoin.
La semaine qui mène à Pourim est une semaine pleine de spiritualité. Un comique israélien très connu, a même posté un message sur son Instagram, dans lequel il s’engageait, alors qu’il n’est pas religieux, à respecter ce shabbat qui précède Pourim de façon traditionnelle.
« Venez observer le shabbat avec moi pour la première fois. Je ne suis peut-être pas religieux, mais je suis très fier d’être juif. Et nous nous souvenons tous et devrions nous souvenir du sept octobre. Le prochain Chabbat, Parashat Zachor, “souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait”. Le Chabbat précédant Pourim, j’ai l’intention de respecter le Chabbat pour la première fois de ma vie. Non pas pour la rédemption, mais pour l’unité avec Israël, pour nos soldats héroïques sur le front. Aujourd’hui, les cœurs de la majorité du peuple d’Israël sont à la bonne place. Les cœurs sont caschers, et je dis que nous devons respecter un Shabbat, arrêter le discours de division, et amener l’esprit de la destinée commune du front, au front intérieur. Cessez de vous battre contre le 12 ou le 14, personne n’a la vérité dans sa poche, d’accord ? Pendant un shabbat, éteignons les écrans. Nous ne laissons à personne le soin de nous diviser à nouveau. Parce que le jour du shabbat, ils nous ont assassinés, le jour du shabbat, nous nous lèverons et nous dirons : nous sommes fiers d’être Juifs ! Ainsi, tous nos ennemis qui pensaient que nous étions une nation divisée sauront que la nation éternelle ne se laissera pas diviser si facilement. La nation éternelle n’a pas peur d’un long voyage ! Suivez-moi. Amenons cent mille Juifs à observer le shabbat pour la première fois. Faites comme moi. Nous montrerons à nos ennemis quel genre de personnes nous sommes. Le jour du shabbat, ils se sont levés pour massacrer ; le jour du shabbat, nous nous lèverons et nous dirons : nous sommes fiers d’être Juifs ! “Souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait… »
– Fin du 167ème jour, 21 mars 2024, 11 adar II 5784.