Escadrille de cygnes noirs

L’année 2020-2021 aura été riche en rebondissements. On espérait la fin de la pandémie. Les vaccins sont arrivés et ont tenu leur promesse quelques mois. Et voilà que même dans les pays vaccinés, l’épidémie repart.

Evénement exceptionnel ? On a l’impression, ces dernières années, de vivre des événements exceptionnels à un rythme frénétique. Si on fait un zoom arrière sur les deux décennies qui viennent de s’écouler, on pourrait même caractériser la période de la manière suivante : l’improbable est devenu possible, le possible est devenu probable

Nassim Taleb a écrit tout un livre pour parler de ce qu’il appelle les cygnes noirs, ces événements hautement improbables qui ont des conséquences de grande ampleur. Le genre d’événement qu’une société met au moins une génération à absorber et dont on parle ensuite dans les livres d’Histoire. Caractéristiques principales ? L’événement doit être une surprise, avoir un fort impact et être considéré comme évident après coup.

Considérez la liste suivante :

11 septembre 2001
19 terroristes détournent 4 avions avec des cutters. Deux d’entre eux s’encastrent dans les tours du World Trade Center, avec, entre autre, comme but d’ébranler l’une des principales places financières du monde.

2004 Tremblement de terre et tsunami dans l’océan indien
Avec une magnitude comprise entre 9.1 et 9.3 sur l’échelle de Richter, c’est le troisième tremblement de terre le plus fort jamais enregistré, à tel point que l’axe de la terre a changé. Avec un bilan de 227 898 morts dans 14 pays, c’est l’un des désastres naturels les plus meurtriers de l’Histoire.

2008 Crise financière
La faillite de Lehman Brothers, et la volonté du gouvernement américain de ne pas sauver une banque pourtant systémique, entraine la crise économique mondiale la plus importante depuis 1929.

2010 Eruption du volcan Eyjafjalljökull
Le nuage de fumée généré provoque la fermeture de nombreux aéroports européens et l’annulation de plus de 100 000 vols, soit près de 50% du trafic aérien mondial pendant une semaine. (D’aucuns diront que l’aspect le plus improbable de l’événement était son nom.)

2011 Accident nucléaire de Fukushima
Officiellement la deuxième plus grande catastrophe du nucléaire civil, conséquence du tremblement de terre dans la région du Tohoku, le plus important jamais mesuré au Japon.

2013 Démission du Pape Benoît XVI
Officiellement en raison de son âge. Le dernier pape à avoir ainsi quitté le pontificat était Grégoire XII en 1415, à la différence que l’on attendit son décès, deux ans plus tard, avant d’élire un successeur.

2010 Printemps arabes
Série de mouvements qui finissent par rebattre profondément les cartes de la géopolique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient.

2013 Prise du pouvoir du général al Sissi en Egypte

2014 Création de l’Etat Islamique

2015 Attentats de Charlie Hebdo

2016 Brexit
Contre l’opinion des experts, tous persuadés que ça n’arriverait jamais, le Royaume Uni reprend son indépendance et fait la démonstration que les cliquets européens sont réversibles.

2016 Election de Trump
A trois jours du scrutin, le New York Times donnait 93% de chances d’être élue à Hilary Clinton.

2020 Accords d’Abraham
Série d’accords signés entre Israël et plusieurs pays arabes, sous l’égide de Trump.

2020 Coronavirus
Conséquences : fermeture des frontières, 3 confinements et le monde entier mis sur pause.

2021 accident dans le canal de Suez.
Commerce mondial bloqué pendant plusieurs semaines.

On pourrait gloser sur tel ou tel événement pour savoir si c’est un cygne noir au sens strict. Chacun pourra ajouter ou retrancher à sa guise. Ce qui semble clair, c’est que les cygnes noirs volent désormais en escadrilles. Ils sont de plus en plus nombreux et arrivent de façon de plus en plus rapprochée.

On peut voir plusieurs raisons objectives à cela. En premier lieu un monde de plus en plus connecté et interdépendant, dans lequel les cygnes noirs n’ont désormais plus un impact régional, mais mondial. En deuxième lieu, des systèmes qui ne sont pas encore au point pour traiter des événements inédits à cette échelle. La peste noire a mis des années (des décennies) à arriver de la Mongolie au port de Marseille. Le coronavirus a mis quelques semaines à se répandre. En dernier lieu, des dirigeants qui ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux et dont certaines décisions multiplie le problème au lieu de le ralentir.

Dans tous les cas, nous autres, population de base, ne pouvons que constater que nous vivons des temps étranges. Des temps où les événements surgissent en staccato et peuvent prendre des directions totalement inattendues en entrainant dans leur sillage une série d’autres événements d’ampleur moindre mais tout aussi ravageurs.

La surprise semble être la règle : tout se passe comme si les événements se moquaient des prévisions comme des analystes. Comme si tout advenait uniquement afin de montrer aux êtres humains leurs limites. Leur limite dans la compréhension, leur limite dans la prévision et leur limite dans l’action. Comme une grande leçon d’humilité qui ne semble pas trop porter ses fruits.

Alors que nous réserve la nouvelle année ? En France, les défis sont nombreux et le rendez-vous majeur déjà fixé : c’est une année d’élection présidentielle. La route va être longue. D’ici là, combien de cygnes noirs seront venus rebattre les cartes ?

Image : (c) Ed Dunens, Black Swans, Lake Wendouree, Ballarat; 2016. License by Creative commons BY 2.0