Décomposition parisienne

La ville de Paris a sorti courant mai un nouveau guide intitulé Genre et espace public. Selon Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, il permet de « mettre en lumière et prévenir les différences et inégalités d’usage, d’appropriation, de mobilité, de pratique et de perception des espaces publics urbains ».

Comme on n’a toujours pas compris de quoi il s’agissait, on ouvre, curieux, la plaquette. Il y a quatre parties et plus de deux cents pages. On nous prévient : c’est une version « provisoire ».

On parcourt néanmoins le document, avide d’en apprendre plus.

Bien sûr, comme on n’est pas des experts sachants, on a du mal à saisir l’ensemble du vocabulaire. On lit par exemple « coveillance et sentiment de sécurité », ou « les lombardines en marche » ou encore « le genre dans la résilience ».

Evidemment, ça ne sont que des titres : la pensée complexe ne peut se satisfaire d’un plan, aussi brillant soit-il. Pour saisir vraiment les enjeux, il faut lire dans le détail.

Alors on sort sa loupe et on lit des phrases entières.

Le préambule liste quatre enjeux : le droit à la ville, le sentiment de sécurité, l’empowerment (prononcer aime-peau-OUEUR-mente) et la coveillance.

On va finir par savoir ce dont il s’agit.

« Née il y a une trentaine d’années au Québec, elle signifie : être attentif aux besoins de l’autre. Il s’agit moins d’un concept que d’un état d’esprit. C’est « faire à plusieurs » ce qu’on ne peut faire seul·e, dans une dynamique de lien social. « La coveillance, agir ensemble avec les pa- rents, les ami·e·s ». Les « yeux fixés sur la rue » seraient l’affaire de tous et toutes. Le sentiment partagé de sécurité dans l’espace urbain est le critère majeur d’un urbanisme idéal. Le vécu quotidien des habitant·e·s et les façons dont l’urbanisme et le décor urbain diminuent ou augmentent le sentiment de sécurité sont au centre du questionnement sur la ville ».

Un concept venu du Québec (coucou Justin Trudeau) qui est en réalité un état d’esprit, le tout avec force points médians, pour montrer qu’on n’est pas fasciste.

La question arrive aussitôt. Elle saisira plus d’un lecteur attentif : mais comment peut-on être aussi con ?

Pour arriver à une tentative d’explication, il faut se mettre dans la peau du principal acteur de l’histoire.

Imaginez que vous êtes un politique lambda. Vous venez d’être élu, vous arrivez à votre poste. Vous êtes relativement motivé : vous avez choisi une carrière publique pour être au service du public en plus de celui de votre ego. Enfin, vous allez pouvoir montrer de quoi vous êtes capable.

Vous voilà aussitôt face à plusieurs contraintes.

La première plane autour de vous de façon constante. C’est la pression des électeurs, qui demandent « mais qu’est-ce que vous faites concrètement pour x ? » (X étant le dernier sujet à la mode). Elle est plus ou moins relayée dans les conseils de quartier, dans les interpellations directes sur les réseaux sociaux et dans les médias. Vous vivez avec tous les jours, en permanence.

D’autant que votre job comporte une date de péremption : la prochaine élection commence dès aujourd’hui.

Votre but, c’est donc de faire des choses pour que l’électeur soit content et vous réélise.

On est au début du vingt-et-unième siècle, si bien que la deuxième contrainte arrive aussitôt : le budget.

L’argent est le nerf de l’action publique, et de l’argent, en ce moment, il n’y en pas. Ou plus, étant donné que la patronne vous a creusé un déficit colossal et a pelleté une dette de près de sept milliards.

Tout l’argent du budget actuel est a priori déjà alloué. Tout nouveau projet va donc devoir trouver de nouvelles sources de financements. Concrètement, il y a trois pistes possibles qui s’imposent à vous :

1. ré-allouer de l’argent affecté à un autre poste. C’est déshabiller Jacques pour habiller Paul, et vous pouvez vous attendre à ce que Jacques vous souffle immédiatement dans les bronches, puisque l’argent qui lui est dédié est d’une importance vitale pour lui.

2. trouver une nouvelle source de financement. C’est à dire augmenter les impôts ou la dette. Impossible, parce que vous arrivez à un moment où le budget est déjà à la corde. Les impôts sont au maximum, la dette est colossale, et tous les autres postes sont boulonnés.

Ce n’est que votre premier jour et le mal de tête commence déjà à vous gagner. Heureusement, vous avez bien suivi la politique de ces dernières années, et vous savez qu’il existe une astuce pour se sortir de cette panade : il faut trouver des projets qui aient un maximum d’impact et qui ne coûte (pratiquement) rien.

Deux pistes faciles : le sociétal et le symbolique. Mais là aussi, vous commencez à sécher. Vos prédécesseurs ont déjà miné le filon jusqu’à l’épuiser complètement. Il va falloir trouver de nouvelles sources de politiques publiques pas chères qui fassent le buzz.

Et voilà qu’alors commence votre deuxième jour, on vous demande un rendez-vous. Vous êtes sur le point de dire que vous être trop occupé, mais le discours de la personne qui veut vous rencontrer vous interpelle.

L’énergumène se dit être un représentant de l’église du woke. Vous n’êtes pas sûr de savoir de quoi il s’agit, mais l’individu en question est quelqu’un de volubile, d’assez charismatique et de nécessairement compétent, puisqu’il a été formé aux ZtaZunis.

Il arrive avec sa petite mallette et une idéologie clé en main. Il vous sort des mots beaux comme dans des dictionnaires d’énarques. Il vous donne du « genré », du « charte européenne », du « représentation symbolique et art dans la ville ».

Au début vous êtes sceptique. C’est des machins d’amerloques, qu’est-ce qui nous dit que ça marcherait chez les gaulois réfractaires ?

Alors le gusse vous sort son PowerPoint et commence à prêcher.

Il vous explique par exemple qu’il suffirait de changer les accords entre les noms et les verbes et boum – exposition médiatique maximale immédiate.

Vraiment ? Et ça coûterait combien ?

Rien. Ça ne coûterait rien.

Ça ressemble à un rêve.

Mieux : il vous dit qu’il a trouvé une nouvelle marge de manœuvre pour lever des impôts. Il suffit de dire « réchauffement climatique » suivi du nom de la nouvelle taxe, et l’argent rentre sans que personne ne dise rien.

Aussitôt vos yeux se mettent à briller.

Et, vous explique-t-il enfin, pour le même prix, il vous donne également la stratégie, la tactique, les argumentaires, et le sentiment (dont le prix est modeste, mais dont la valeur est infinie) d’être dans le camp du bien, du progrès et de la justice.

Qui ne signerait pas ?

Et voilà comment quelques années plus tard, vous avez une équipe de quatre cents communicants, et comment, bien consciencieuses, vos équipes travaillent. Elles produisent. Elles veulent montrer que l’argent public est employé à bon escient. Et elles vous pondent des petites merveilles sur « le genre et l’espace public », pleines de belles mesures bon marché qui vont faire parler d’elles pendant des mois.

Alors quand vous voyez la mairie de Paris et ses quatre cents communicants sortir une brochure absurde sur des équipements aussi moches qu’idiots, ne vous inquiétez pas. Vous en avez encore au moins pour cinq ans.

Pour se rendre compte par soi-même de la merveille :
https://www.paris.fr/pages/un-nouveau-guide-pour-mieux-integrer-le-genre-dans-l-espace-public-17624
Image extraite du guide, partie I, p. 21.