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Olivier F. Delasalle
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Olivier F. Delasalle

XunZi et la rectification des noms

OFD, 2 novembre 20252 novembre 2025

Première partie : vie et contexte historique.

Le bâton de la Rectification des Noms est repris deux cents ans après Confucius par XunZi, connu aussi en français sous le nom de Siun Tseu. C’est lui qui écrivit le traité appelé Rectification des Noms, qui fit passer le concept d’une idée confucéenne à l’état brut à une théorie mature. Mais n’anticipons pas, et commençons par accompagner le sage dans ses jeunes années.

Né vers trois cent dix avant l’ère courante, XunZi quitte le royaume de Zhao, son pays natal, à l’âge de quinze ans, pour le royaume de Qi. Celui-ci se trouve à l’est, sur la côte : c’est le royaume le plus prospère.

L’époque est bien différente de celle de Confucius. L’heure n’est plus à émiettement de territoires qui se produisit dans le sillage de l’effondrement des Zhou de l’ouest. Sept royaumes principaux ont émergé et se disputent l’hégémonie de la région sans que l’un ne parvienne vraiment à s’imposer. La période porte bien son nom : c’est l’ère des royaumes combattants. Tout est une question d’équilibre des forces. Un royaume grandit, étend son influence et affiche des ambitions territoriales ? Voilà qu’aussitôt deux ou trois de ses voisins se liguent contre lui pour l’en empêcher. Ces deux siècles et demi sont une suite de guerres et de négociations diplomatiques, d’intrigues de palais et d’ambitions de premiers ministres. C’est une époque tissée du fil dont on fait les romans, pleine de héros, de traîtres, de sages errants et de batailles fracassantes.

XunZi va traverser le dernier chapitre de cette épopée, et formuler une philosophie qui paraît, deux mille trois cents ans plus tard, aussi neuve qu’à son époque.

En trois cent dix, XunZi arrive dans le royaume de Qi. C’est le royaume le plus florissant de son époque. Il est riche de son agriculture, de ses mines, des ressources de la mer. La population est nombreuse, l’économie prospère. Il est connu pour ses villes tracées sur un plan rectangulaire méthodique, où les rues se croisent à angles droits. Mais il est également connu pour être l’un des premiers royaumes à offrir un soutien financier aux professions intellectuelles, à ces messieurs qui ne travaillent pas de leurs mains, mais de leur esprit.

XunZi arrive dans Linzi, la capitale, aujourd’hui un faubourg de Shangdong. On y trouve un groupe de penseurs original, qui se réunit à la sortie de la ville, près de la porte occidentale qui tenait son nom du dieu Ji, d’où son nom en chinois d’académie de Jixia [稷下學宮].

XunZi y découvre toutes les écoles de pensées de son temps et y exerce son intellect brillant.

Un peu avant l’an 284, XunZi écrit un texte dans le genre de la persuasion, un exercice classique à cette époque. Il s’agit d’interpeller le souverain sur une question spécifique et d’essayer de le convaincre d’adopter son point de vue. Le but ? Se faire découvrir, espérer obtenir une charge et entrer ainsi dans la carrière administrative ou diplomatique.

XunZi a environ vingt-cinq ans, et, avec la fougue et l’impudence de la jeunesse, il écrit une persuasion adressée au premier ministre de Qi, qui était un mécène des arts et des lettres extrêmement généreux.

La flatterie n’est pas son style : il espère briller en interpellant le dirigeant sur certaines questions politiques pressantes.

Son analyse est simple : le royaume de Qi est entouré de plusieurs royaumes de tailles moyenne et d’une multitude de petits royaumes. Indépendamment les uns des autres, ils ne présentent que peu de menace. Mais il suffirait qu’ils s’allient pour qu’aussitôt ils puissent envahir le royaume de Qi et le découper en plusieurs morceaux.

Comme tous les penseurs de son époque, XunZi se réfère à l’histoire ancienne, en tous cas à ce que l’on en connaissait, pour faire passer son message. Il met en opposition les deux derniers rois des dynasties Xia et Shang et les deux premiers dirigeants qui leur ont respectivement succédés : « [les premiers] appartenaient à une famille dirigeante qui possédait l’empire. En eux se trouvaient la puissance et la position : ils étaient les autorités spirituelles du monde ; leur terre était un fief qui dépassait les mille lis ; et la masse de la population qui l’habitait dépassait les millions. Et pourtant le monde entier les a abandonnés pour se précipiter vers [les suivants] et changea d’attitude en passant de la haine à l’admiration. Comment cela s’est-il produit ? »

La question est toute rhétorique. Il explique aussitôt : « Les premiers avaient l’habitude de faire ce que les hommes haïssent, les seconds ce que les hommes aiment. Que veux-je dire par “ce que les hommes haïssent?” La bassesse et l’imprudence, la discorde et le pillage, et un appétit rapace pour les seuls profits ».

Autrement dit : exactement les mots que tout homme politique a envie d’entendre.

Le premier ministre ne donne pas suite à la persuasion de XunZi, mais sa prédiction s’avère correcte. En 284 avant notre ère, l’état de Qi est envahi par une alliance d’autres royaumes concurrents, en partie à cause de l’impréparation du gouvernement. L’académie est dissoute, Xunzi s’enfuit vers le sud.

Il s’installe alors dans le royaume de Chou. C’est un immense territoire qui est mal gouverné. Le monarque y est faible, l’organisation peu centralisée. Un royaume avec beaucoup de potentiel, mais aucun souverain pour l’y amener. Il est surtout constamment menacé sur son flanc ouest par le puissant royaume de Qin, qui s’infiltre peu à peu. En 280, le royaume de Chu a perdu la moitié de son territoire. En 278, le roi est chassé de la capitale et doit s’enfuir vers une autre ville en direction de la côte.

XunZi assiste à tout cela. Il étudie, il réfléchit, il essaye de comprendre comment tout cela s’insère dans ce qu’il a appris.

Car XunZi est d’abord et avant tout un confucéen pur jus. C’est la doctrine et les idées de Maître Kong qui coulent en lui, et qu’il essaye constamment d’expliquer et de développer.

Mais dans ce royaume de Chu, dans ce royaume du Sud, il découvre, ou au moins approfondi, l’école mohiste, l’école rivale de Confucius. Fondé par MoZi, dont on pense qu’il était un quasi contemporain de Confucius, son école s’est très vite divisée en trois branches, qui ont ensuite essaimé les différentes régions.

A l’époque des Royaumes Combattants, les mohistes sont très présents dans le sud du pays et ont développé un système philosophique extrêmement sophistiqué. Il y a une éthique, basée sur dix principes, une réflexion sur l’art de la guerre (indispensable à cette période), mais également tout une théorie de la langue dont on retrouve les traces chez XunZi.

Arrêtons-nous un instant sur celle-ci. La théorie linguistique des mohistes est assez difficile à étudier. Les plus grands spécialistes s’y cassent les dents. Burton Watson, à qui l’on doit la première traduction en anglais du livre attribué à MoZi, qui compile tous les enseignements de l’école qui lui est associé, a carrément retiré la partie concernant la linguistique. D’autres l’incluent, mais l’accompagnent aussitôt de tout un tas de notes pour essayer d’expliquer ce que ça veut dire.

La raison ?

Elle est double. La première, c’est que la moitié de l’ouvrage consiste en un dictionnaire technique des termes utilisés dans les cercles mohistes. Les définitions sont très courtes, extrêmement ramassées, un style que l’usage du chinois classique rend encore plus ambigu pour nos contemporains étant donné sa capacité à changer la nature des mots. En chinois classique en effet, le même caractère peut être un nom, un verbe ou un adjectif : seul le contexte et la pratique permettent de savoir.

La seconde, c’est que rien n’est présenté de façon systématique. On a affaire à des fragments, des morceaux de raisonnements épars, dont le mieux que l’on puisse faire est de proposer une hypothèse concernant le système dans lequel ils s’inscrivent.

Ce que l’on peut retenir, et ce que XunZi va retenir, c’est la formulation de l’une des premières théories modernes de la langue.

Pour comprendre le saut conceptuel effectué par les mohistes, il faut savoir que toutes les cultures ne considèrent pas la langue sous le même angle.

Les cultures de tradition orale ont une conception de la langue et du langage qui est très différente des cultures de tradition écrite. Les premières considèrent la langue sous un aspect presque magique. Dans cette conception, le mot est la chose, le mot désigne l’essence de la chose. Il y a un rapport extrêmement fusionnel entre les deux, d’où un certain nombre de conséquences pratiques. Par exemple les tabous linguistiques : des mots que l’on ne veut pas prononcer, parce que ce qu’ils est évoquent est trop puissant pour qu’on ait envie que la chose s’invite. Mais également l’importance de la poésie (qui commence toujours par être orale) : dire, c’est se faire le médiateur des puissances invisibles supérieures. Voir par exemple le début de l’Odyssée, qui bien que mise par écrit vers le VIII ième siècle avant notre ère continue à porter les marques de cette culture de l’oralité.

A l’inverse, dans les cultures écrites, le lien entre le mot et la chose devient utilitariste. Il n’est plus de l’ordre de l’essence, mais de la convention. Le mot est considéré comme une petite étiquette que l’on attache à la chose. Et cette petite étiquette peut être changée sans que la chose ne change. Le nom n’est pas un attribut essentiel, mais accessoire.

Les mohistes formalisent cette idée. Pour le dire avec les termes modernes des traducteurs : ils distinguent le nom (meng) de le chose en elle-même. Autrement dit ce qui se passe dans la tête et qui relève du langage, et ce à quoi cela renvoie dans le réel.

Les mohistes étaient également célèbres pour une série de paradoxes apparemment absurdes qu’ils arrivaient à expliquer en utilisant leur théorie. L’un des plus fameux dit : « un cheval blanc n’est pas un cheval ». Formulé de cette manière, cela paraît fumeux, mais, à nouveau, si l’on utilise les théories linguistiques modernes, c’est en réalité lumineux.

Pourquoi un cheval blanc n’est-il pas un cheval ? Imaginez que vous représentez par un cercle l’ensemble qui inclut tous les chevaux possibles. Puis, par un deuxième cercle, qui intersecte le premier sur une petite surface, vous représentez tout ce qui est blanc. A l’endroit où les deux se superposent, vous trouvez les chevaux blancs. Toute la question est alors de savoir ce qu’on entend par « cheval ». En regardant le schéma, on se rend compte que le mot cheval recouvre en fait deux réalités distinctes. La première, c’est l’ensemble en général (le cercle), la seconde, ce sont les éléments qui le composent. On pourrait remplacer par des lettres : soit l’ensemble C, composé de l’ensemble des différents ch existants. Sous cette forme, il apparaît évident qu’un C n’est pas un ch, et à plus forte raison, qu’un ch blanc n’est pas un C ! Ca serait confondre membres et ensemble.

Revenons aux affaires du royaume de Qi. Suite à d’habiles manœuvres du premier ministre Tian Dan, le royaume reprend le dessus. L’armée ennemie est défaite, son général, tué, et le roi de Qi revient au pouvoir. Celui-ci réouvre l’académie de Jixia, dans une forme plus élaborée et plus structurée.

En 275 XunZi revient au royaume de Qi pour en prendre la direction, position qu’il occupera pendant environ dix ans, jusqu’à ce qu’il ait quarante-cinq ans. Il a écrit plusieurs traités : c’est un confucéen connu et reconnu. Il est invité dans d’autres cours par des rois ou des ministres qui voudraient l’avoir à leur service. C’est finalement un vague complot contre lui qui le fait tomber : il est obligé de partir.

Cette fois, il voyage vers l’ouest, et arrive dans le royaume de Qin. Il commence par y développer des thèses politiques de la plus stricte obédience confucéenne, mais il est très vite troublé par ce qu’il voit.

Le royaume de Qin est en effet un royaume puissant, prospère, en pleine ascension, et, chose surprenante pour quelqu’un comme XunZi, c’est un royaume qui n’est basé sur à peu près aucun des principes confucéens. Il a été repris en main par un ministre particulièrement draconien qui a par exemple mis en place des châtiments extrêmement forts pour les plus petites offenses. Un incident résume l’ambiance : le prince héritier est accusé d’avoir enfreint la loi ; comme on ne peut condamner quelqu’un de la maison royale, ce sont donc son gardien et son précepteur qui seront punis à sa place.

Période de crise et d’apprentissage pour notre philosophe, que l’on voit dans les écrits de cette époque, où il incorpore peu à peu certaines idées prises chez les Qin qui lui auraient parues affreusement hétérodoxes quelques années auparavant.

Vers 260, alors que XunZi a une cinquantaine d’années, le royaume de Qin commence une campagne militaire contre le royaume de Zhao, le pays natal du philosophe.

Il se rend à la capitale de Zhao, et rencontre le roi, qui lui demande que faire : comment un vrai roi de l’antiquité se comporterait-il en ce qui concerne la tactique ? Réponse lapidaire de XunZi : « ce sont des considérations secondaires que l’on doit laisser aux maréchaux et aux généraux ». Mais il intègre désormais certains principes de la philosophie politique de Qin dans ses conseils et recommande ainsi que les « incitatifs soient généreux et que les punitions inspirent la crainte ».

Une alliance se dresse contre Qin, qui retardera de trente ans sa future puissance.

Vers 255, XunZi devient magistrat pour la première fois de sa vie. C’est l’occasion de mettre en œuvre ses théories et de multiplier le nombre de ses élèves.

Il continue à composer des traités, et c’est probablement à cette période qu’il compose le traité qui nous intéresse et qui est sobrement intitulé « la rectification des noms ».

On trouve dans le livre attribué à XunZi un chapitre intitulé la Rectification des Noms. Attribué à XunZi parce que tous les ouvrages qui datent de la période des Printemps et des Automnes (781 à 476 avant notre ère) ou de la période des Royaumes Combattants (476 à 221 avant notre ère), sont en réalité souvent des compilations et non des livres qui ont été pensés dans la forme que nous avons actuellement. C’est le cas de tous les livres attribués à des écoles : le Mozi, le Chouang Tseu, le Mencius, et également le XunZi. Ce sont, à la base, des corpus de textes plus ou moins épars qui ont été compilés à la période des Han en des volumes uniques. Cela donne beaucoup de travail aux philologues qui peuvent passer des carrières à démêler les échevaux pour savoir dans quel ordre les textes ont été écrits, qui en seraient les véritables auteurs, et quelles sont les indices historiques qui permettent d’y voir plus clair.

La période des royaumes combattants voit également un changement important : un changement de support. Jusque là, les textes étaient écrits sur des baguettes de bambous reliées entre elles ; on vit désormais apparaître les rouleaux de soie sur lesquels on écrivait au pinceau. Le changement est manifeste dans la longueur des textes : aux propos ramassés, parfois au prix de l’obscurité, des périodes les plus anciennes, on voit peu à peu apparaître des textes beaucoup plus longs, qui laissent plus de place aux ornements et aux raisonnements.

Le traité sur la Rectification des Noms se trouve inséré dans le livre regroupant tous les textes attribués à Xun Zi et à son école, au chapitre 22. Les philologues estiment qu’il a été écrit dans la dernière partie de son existence, alors qu’il était haut fonctionnaire, quand le philosophe avait soixante ou soixante-dix ans. C’est un ouvrage qui est réputé pour être le pinacle de sa pensée, et pour avoir développé un concept qui, certes, existait déjà, mais en le portant à un nouveau degré d’abstraction.

Le concept était connu chez Confucius, mais concernait, comme on l’a vu, uniquement les questions rituelles et les questions d’accord entre la fonction et la personne. C’est la fameuse phrase : « [il faut] que le seigneur soit un véritable seigneur, que le ministre soit un véritable ministre, que le père soit un véritable père, que le fils soit un véritable fils » (Entretiens, XII, 11). Quand on occupe une fonction, il faut vraiment l’occuper et non faire semblant.

XunZi va faire éclore le concept et proposer une réflexion sur la rectification des noms qui va raisonner à travers la philosophie chinoise pendant des centaines d’années.

John Knoblock, le spécialiste de XunZi à qui l’on doit la principale traduction de l’ouvrage, propose de considérer trois parties principales dans cette approche de la rectification des noms :

1. S’occuper des noms tels qu’ils ont été établis par les rois de l’Antiquité

2. S’intéresser aux noms pour désigner les myriades d’objets.

3. S’intéresser aux noms dans leur dimension technique.

Pour le dire de façon plus contemporaine : XunZi va s’intéresser à une dimension politique, puis à une dimension pragmatique et enfin à une dimension philosophique.

« S’occuper des noms tels qu’ils ont été établis par les rois de l’Antiquité », c’est la dimension politique. A ce sujet il y a un consensus à l’époque de XunZi comme à l’époque de Confucius pour dire que le système politique qui les a précédé était supérieur. Car l’époque qu’ils traversent est extrêmement troublée : à l’effondrement de la monarchie des Zhou de l’ouest a succédé une multitude de royaumes qui cherchent un nouvel équilibre politique sans jamais le trouver plus de quelques années. D’où la tentation de se dire qu’il y avait quelque chose qui fonctionnait, et qu’il s’agit de le retrouver. C’est en réalité occulter une autre question, au moins aussi importante : si ça fonctionnait aussi si bien que ça, pourquoi cela s’est-il effondré ?

« S’intéresser aux noms pour désigner les myriades d’objets » : c’est la dimension pratique du langage. La myriade (万 : dix mille), est le plus grand chiffre de base de la numération chinoise, un peu comme le million dans la culture occidentale. Dire « les dix mille choses », c’est dire la multitude.

A ce niveau, la problématique est simple : qu’est-ce qu’un nom ? Si j’appelle un tableau un tableau, qu’est-ce qui fait que c’est un « bon » mot ? Lorsqu’on a identifié un nouveau concept et qu’on veut inventer un nouveau mot pour le désigner, quels vont être les critères qui vont permettre de déterminer si le mot est adéquat ou pas ?

Enfin, « s’intéresser aux noms dans leur dimension techniques », c’est la dimension philosophique. C’est essayer de comprendre tous ces termes qui sont un peu abstraits et qui sont sources de confusion dès qu’on oublie de les préciser. Chez XunZi cela prend la forme d’une série de paragraphes qui traitent des différentes questions philosophiques qu’ils considèrent importantes à son époque. C’est une démarche très importante parce que c’est en fait le cœur de la démarche de la rectification des noms : c’est le rôle du philosophe, de l’intellectuel, de l’écrivain, en un mot du lettré, que de s’intéresser aux mots et aux idées afin de les cartographier au mieux, pour l’utilisation de tous.

Examinons ces points un par un.

La dimension politique

Le traité commence par le problème de la dimension politique. XunZi explique comment se comportaient les rois des dynasties précédentes, ce qui a été abandonné et pourquoi le chaos s’est installé.

XunZi commence par poser les bases de son raisonnement. Les rois sages utilisaient les noms créés par la dynastie Xia, les lois criminelles des Shang, les titres nobiliaires et les rites de Zhou. Autrement dit : ils étaient fidèles à ce que chaque dynastie été censé avoir légué de meilleur.

Comme on l’a expliqué, la période que vit XunZi est loin d’être fidèle à cet héritage. Le roi Zhou ne règne plus que sur un petit territoire et les autres royaumes se battent pour l’hégémonie.

XunZi commence donc par expliquer le processus qui a mené à cette dégénérescence :

Les querelles sans fin et la création de noms de façon incontrôlée brouillent la compréhension des usages corrects des noms et les frontières entre le bien et le mal sont peu claires. Lorsque les gens ne comprennent plus l’usage correct des noms, ils deviennent méfiants. Lorsque les gens sont méfiants les disputes augmentent. Lorsque les disputes augmentent, les litiges augmentent également.

Si le pays est traversé par les troubles, il faut donc remonter à la cause première, trouver la racine et s’assurer qu’elle ne continue pas à ébranler le système. La racine est simple : c’est la création désordonnée de noms qui amène la confusion quant à leur correcte utilisation.

Autrement dit, pour XunZi, le langage précède l’ordre social : il le fonde.

Devant ce constat, le vrai roi n’a qu’une chose à faire : empêcher l’utilisation désordonnée de la langue. XunZi va jusqu’à dire que celle-ci doit être punie sévèrement, autant que l’est « la fabrication de fausses licences ou la falsification des poids et des mesures ». On voit là les traces de son passage dans le royaume de Qin et de ses théories draconiennes. Le jeune XunZi, en bon disciple de l’école confucéenne aurait été horrifié de ces propositions.

Il poursuit en expliquant que si un vrai roi devait arriver, il devrait garder certains noms anciens et probablement en inventer de nouveaux : autrement dit, il devrait passer par une certaine période de mise en ordre.

Arrive alors la seconde question : comment bien choisir les noms ? Sur quels critères se fonder pour établir des noms qui établissent des bases saines ?

La dimension linguistique

Xun Zi va développer une théorie du langage et une théorie des mots, afin de nommer les « myriades d’objets ».

Il va dire deux choses très importantes.

La première, c’est que le rapport entre le nom et la chose est de l’ordre de la convention. En cela, on voit qu’il a bien assimilé les théories mohistes. On a quitté le théorie « magique » de la langue dans laquelle le mot est la chose, pour entrer dans une théorie écrite de la langue, où le lien entre le mot et la chose relève de la convention. Un mot est une étiquette posée sur la chose et il est possible de changer les étiquettes.

La seconde, c’est que, lorsqu’on choisit une nouvelle étiquette, elle doit avoir trois caractéristiques : il faut « qu’un nom soit direct, simple et qu’il ne soit pas en conflit avec la chose ». (XunZi 22 2.G)

Direct ? Pas besoin de se cacher derrière du jargon ou des périphrases. Pour reprendre l’expression française, il faut appeler un chat un chat. Pas besoin d’appeler un chat un « quadrupatosfelinochatus ».

Facile à comprendre : le langage est un outil qui doit être utilisable par le plus grand nombre. Par conséquent, il faut que le plus grand nombre puisse comprendre et apprendre assez facilement les nouveaux mots lorsqu’ils sont mis sur de nouvelles réalités.

On a vu cela avec la pandémie. Chaque variant du covid 19 a un nom scientifique, utile pour le classifier d’un point de vue virologique, mais un rien difficile à retenir pour le grand public. Pour palier à ce problème, les dirigeants et la presse ont commencé par donner à chacun des variants le nom du pays d’où il était issu, puis une lettre grecque. Pour le citoyen de base, il est plus facile de retenir « variant delta » que « B.1.617.2 ».

Pas en conflit avec la chose : étant donné que le langage est là pour dire la vérité, c’est à dire, pour reprendre les termes d’Aristote, pour dire que « ce qui est, et que ce qui n’est pas n’est pas » (Métaphysique, Livre IV, ch. 7, 1011b 25), si le nouveau mot qu’on créé et qu’on commence à l’utiliser pour essayer de nous induire en erreur, alors il y a quelque chose de fondamentalement erroné.

Knoblock donne l’exemple suivant : il ne faut pas appeler une île couverte de glace « île verte ». C’est pourtant ce que l’on fit en appelant le Groenland, mot qui signifie littéralement l’île verte. On peut trouver des multitudes d’exemples où on nomme les choses en essayant de masquer la vérité, ce qui constitue une faute morale. A nouveau parce que les langage et les noms étant à la base de l’ordre social, au sens d’organisation de la cité, « mal nommer les choses, c’est amener du malheur au monde ».

La dimension philosophique

La dernière partie du traité de Xun Zi est une partie qui est à la fois difficile et simple. Difficile, parce que, si on essaye de rentrer dans le détail de ce qu’il dit il faut s’intéresser de façon très poussée 1. à la philosophie chinoise 2. à la langue chinoise classique et 3. au contexte historico-politique dans lequel il écrit (ce qui n’est pas notre sujet ici). On peut néanmoins faire un pas en arrière et voir ce qu’il est en train de faire. En réalité, il dresse un lexique des termes qui prêtent à confusion à son époque : il fait de la rectification des noms appliquée.

Ce faisant, il reprend à nouveau quelque chose qui vient de l’école mohiste. La partie consacrée à la logique dans l’ouvrage intitulé MoZi comporte deux parties : la première donne les définitions tandis que la seconde s’intéresse plus à la théorie. C’est un exercice similaire auquel s’adonne Xun Zi : prendre un concept et y réfléchir autant que faire se peut.

Il commence par exemple sur une toute réflexion sur la « nature humaine » (性). Qu’est-ce qu’on entend par là ? Quelles sont les caractéristiques de cette idée ? C’est une exploration qui se déroule à un moment spécifique, à travers une langue spécifique. On peut l’utiliser aujourd’hui pour alimenter notre réflexion sur la nature humaine, mais ce qui nous intéresse ici c’est la démarche générale.

Car elle montre au final la grande fonction des intellectuels, des écrivains — des lettrés. Explorer les mots, explorer les concepts et les cartographier, de manière à fournir à la société, dans son ensemble à et à ses différentes composantes, des cartes du langage.

Leur rôle est de s’emparer de tous ces mots qui circulent dans l’espace public et qui sont suffisamment flous pour risquer d’alimenter la chaîne néfaste dont parle XunZi.

Dans cette perspective, la rectification des noms est un devoir moral qui s’impose au lettré. Sans cela la confusion s’installe, le peuple ne comprend plus, la méfiance grandit et les disputent se multiplient.

Sources :

Sur XunZi, le meilleur ouvrage est la traduction en trois volumes de John Knoblock, Stanford university Press. Il inclut une biographie détaillée ainsi que la traduction complète de l’ouvrage. Malheureusement difficile à trouver à un prix abordable ; on rêverait que de tels ouvrages soient disponibles pour le grand public.

John Knoblock est également l’auteur d’un article intitulé The Chronology of Xunzi’s Works, publié dans Early China, 1982–83, Vol. 8 (1982–83), pp. 29-52, par Cambridge University Press, et disponible sur : https://www.jstor.org/stable/23351544

Sur la période des royaumes combattants, The Cambridge History of Ancient China (Cambridge University Press, 1999), notamment les chapitres 9 et 10.

Anne Cheng consacre un chapitre à XunZi dans son Histoire de la pensée chinoise (Points Essais), chapitre 8 (mais je recommande de lire le chapitre 9 avant pour voir l’ambiance que trouve XunZi lorsqu’il arrive dans le royaume de Qin, où règne l’école dite des légistes).

Anne Cheng rappelle que la première biographie de XunZi se trouve, comme pour celle de Confucius, dans le Shiji (Mémoires historiques), au chapitre 74.

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